Le grand bordel bien rangé de Pierre Huyghe

Donc, Pierre Huyghe a droit à sa première rétrospective au Centre Pompidou ? Ca tombe bien, depuis que je suis tombé dans l’art contemporain il y a de ça dix ans, j’entends parler de ce monsieur. Il fait de la vidéo, mais pas seulement. Il organise des performances aussi, crée des installations, et tout un tas de trucs qu’est censé faire tout artiste contemporain qui se respecte.

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Aussi loin que je me souvienne, la première fois que j’ai entendu parler de Pierre Huyghe, c’était à propos d’Ann Lee. Une fillette, personnage de manga, dont les droits avaient été rachetés par Huyghe et un autre artiste, un certain Philippe Parreno (tiens donc), avec un objectif : la transformer en oeuvre d’art. Plus exactement, en coquille (Not a ghost, just a shell), capable de servir de support à plusieurs artistes. Bonne nouvelle, Ann Lee est annoncée dans l’expo du Centre Pompidou. La deuxième fois que je croisai Pierre Huyghe dans mes lectures sur l’art contemporain, c’était lorsque celui-ci était en plein tournage d’une série d’expériences un peu étranges, avec des acteurs et des figurants, dans le musées des Arts et Traditions Populaires, désert depuis 2005. Bonne nouvelle encore, le film qui en a été tiré – un long-métrage de plus d’une heure et demie – est aussi au programme de cette expo.

Parfait. Alors, allons voir.

Mon verdict est sans attente : c’est quoi çe bordel ? « Quoi le fuck ? », comme on peut aussi dire. Sur le fond comme sur la forme, l’exposition de Pierre Huyghe laisse pensif. Non pas parce qu’on se laisse capter par la poésie du lieu – oh non. Parce qu’on finit par se poser plein de questions : pourquoi Pierre Huyghe a-t-il choisi de caser plus de 50 oeuvres dans l’une des plus petites galeries du Centre Pompidou ? Pourquoi retrouve-t-on, là, dans un coin, un morceau du tas de sable rose exposé plus loin ? Et surtout, SURTOUT : qu’est-ce que ça veut dire, tout ça ?

Rien de joli

Les oeuvres présentées par Pierre Huyghe sont plus intellectuelles qu’esthétiques. Chaque production a son propre concept, sa propre histoire ; on peut passer des heures à essayer de tout comprendre, mais il n’y a rien de joli. Ou presque.  Le tas de sable rose est très beau, mais on se demande bien ce qu’il fabrique là. En semi-extérieur, un micro-climat qui fait alterner neige, brouillard et pluie se tient à côté d’une statue qui se fait prendre la tête (au sens propre) par des abeilles. En un mot, on se sent perdu dans l’inconscient d’un artiste dont toutes les idées flottent, désordonnées, dans un coin de cerveau.

Il y a toutefois quelques bonnes idées, comme celle de déconstruire l’espace d’exposition. Dieu sait combien je honnis ce terme de déconstruction, mais c’est bien de cela qu’il s’agit ici : Pierre Huyghe a cassé l’architecture du lieu en transformant cette salle toute carrée en labyrinthe parsemé de murs en diagonale, qui se traversent les uns les autres, et qui, en outre, sont en réalité les cimaises de l’exposition précédentes, laissées à l’état brut. Un bon point, qui apporte la surprise dans cette exposition.

La rétrospective impossible

Finalement, si cet assemblage de Pierre Huyghe me laisse sceptique, c’est peut-être parce que – comme le dit très bien l’article du blog de « Lunettes Rouges«  – réaliser la rétrospective d’un artiste dont le point fort est la création de situations, d’événements est un exercice casse-gueule.

Tout n’est pas à jeter dans cette exposition, et les quelques traces des « événements » de Pierre Hughe valent le coup d’oeil. Ainsi le film tiré des trois jours de happenings au Musée des Arts et Traditions Populaires (qui s’intitule The Host and The Cloud) est fascinant. Il n’y a pas d’histoire, si peu de fil conducteur, mais une tension permanente, une fascination qui s’exerce à voir s’animer ces lieux désaffectés pour des messes noires ou des faux procès.

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Quand de temps à autre, un homme muni d’un masque en forme de livre à diodes (si, si), ou un lévrier filiforme à la patte rose (si, si) sortent de leurs oeuvres pour s’incarner, en vrai, devant les spectateurs, la magie de l’exposition prend un peu. Dommage qu’il n’y ait que si peu d’interventions « coup de poing » comme celles-ci. Dommage, par exemple, qu’Ann Lee – notre héroïne de manga, souvenez-vous – n’ait droit qu’à un microscopique écran et à l’accrochage de son contrat de cession. Elle, qui a été réinterprétée par quelque vingt artistes, méritait mieux.

En un mot et pour résumer, l’Oeuvre de Pierre Huyghe n’est pas sans intérêt, bien au contraire. L’homme est un inclassable, qui joue avec les codes de l’art, qui crée des événements. Mais cette expo n’est pas à la hauteur. Dommage que ces cinquante oeuvres soient ramassées les unes sur les autres dans la Galerie Sud de Beaubourg. Elles auraient peut-être mérité un lieu plus grand, comme le Palais de Tokyo. Et ça tombe bien, son pote Philippe Parreno qui s’y est installé a de son côté réussi son expo.

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